Guillaume Moscovitz – quelques remarques

21 December 2023

Je ne pense pas, comme vous l’écrivez, que “la formation d’Israel comme foyer national juif impliquait une colonisation de peuplement entraînant le déplacement de nombreux habitants initialement présents, au prix de crimes de guerre et d’expulsions.”

Les expulsions et les crimes de guerre en 1949 n’ont pas été à mon sens le résultat de la formation d’Israël comme foyer national juif, mais les conséquences d’une guerre de puissances entre Israël et les États arabes coalisés contre lui. Une guerre qui avait commencé 10 ans plus tôt par une guerre civile entre les palestiniens juifs et les palestiniens arabes et qui s’est dramatiquement aggravée après 1945 avec des deux côtés des massacres et des attentats à la bombe contre les populations civiles.

Et puis il y a quelque chose dont on ne parle pas ou très peu :  l’immigration arabe en Palestine dans la deuxième moitié du XIXème siècle et dans la première moitié du XXème, c’est à dire une immigration arabe contemporaine du sionisme.

On manque de chiffres, car il n’y avait pas de frontières entre les différentes provinces de l’empire Ottoman et plus tard les Britanniques n’avaient pas imposé de quotas à l’immigration arabe (contrairement à l’immigration juive).

Néanmoins il y a quelques chiffres tout de même à partir desquels on peut déduire certaines choses : il y avait en 1870, 300 000 arabes en Palestine et 30 000 juifs (la plupart à Jérusalem dont un dénombrement de la population fait par les Ottomans en 1850 montre qu’ils étaient majoritaires dans la ville sainte à cette époque, donc avant le début du sionisme). 70 ans plus tard, en 1940, il y avait 1 million 300 000 arabes et 650 000 juifs. Nous savons que la population mondiale a doublé entre ces deux dates, or la population arabe en Palestine a été multipliée par 4. Et cela n’est pas dû seulement à la réduction de la mortalité infantile liée à l’amélioration des conditions de vie.

L’immigration arabe et musulmane en Palestine (d’Egypte, de Syrie, du Liban, de Transjordanie, d’Irak, du Maghreb, mais aussi de Bosnie et d’Albanie) a commencé avec le début de la modernisation de la Palestine sous l’empire Ottoman, elle a continué et s’est même intensifiée avec la poursuite de cette modernisation liée à l’immigration juive.

Ces immigrés arabes étaient attirés en Palestine par des opportunités de travail et l’espoir d’une vie meilleure. Beaucoup d’ailleurs étaient et sont restés des travailleurs pauvres, des travailleurs agricoles pour la plupart.

On ne connaît pas leur nombre exact mais ils constituent un nombre non négligeable parmi les ascendants directs des palestiniens actuels. Le peuple palestinien est un peuple mélangé, un peuple arabe d’origines diverses, la majorité parmi eux vivaient en Palestine depuis longtemps, mais beaucoup aussi sont des descendants d’arabes qui ont immigré à la même époque que les juifs sionistes.

Et au fond, et c’est le principal de ma remarque, je vois dans ce fait comme un espoir, celui de voir un jour ces deux peuples, les israéliens et les palestiniens, se réconcilier sur la base qu’ils sont tous les deux des peuples en partie immigrés dans cette région, la Palestine, que les Ottomans appelaient la Syrie du sud, même si le pourcentage d’immigrés juifs est considérablement plus important que le pourcentage d’immigrés arabes. Deux peuples en définitive qui se sont inventés ensemble à l’époque moderne, c’est-à-dire en même temps et sur la même terre.

Nous sommes toutes et tous des enfants d’immigrés!

Références (non-exhaustives) :

– The Syrian Land: Processes of Integration and Fragmentation : Bilād Al-Shām from the 18th to the 20th Century, Thomas Philipp, Birgit Schäbler, 1998

– Haifa in the Late Ottoman Period, 1864-1914: A Muslim Town in Transition, Mahmoud Yazbak, 1988

– Histoire économique et sociale de l’Empire ottoman et de la Turquie (1326-1960), Panzac Daniel, 1995,

– David Grossman, Rural Arab Demography and Early Jewish Settlement in Palestine : Distribution and Population Density During the Late Ottoman and Early Mandate Periods, 2017, « Migrations and settlement of various ethnic groups in the 19 century »

– The Partition of Palestine: Decision Crossroads in the Zionist Movement By Itzhak Galnoor

– History of Modern Palestine: One Land, Two Peoples, Ilan Pappé

– Public Record Office, Kew Gardens, UK Foreign Office